Lyon Figaro
Nelly Gabriel
Jeux d’esprit
Anthony Freestone traque les connexions et les passages secrets au fil d’associations d’images et d’idées qui prennent la forme de polyptyques. Au Centre d’arts plastiques de Saint Fons.
Si l’on ne sait pas de quoi ils sont la reproduction fidèle, on appréhende d’abord les grands tableaux d’Anthony Freestone comme une série relevant de l’abstraction géométrique où se décline avec bonheur le thème de la composition orthogonale, à travers des agencements divers de rythmes, couleurs, espaces. Pourtant, la manière dont ils sont peints trahit un autre intérêt que la seule et froide déclinaison sérielle. On remarque des variations d’intensité dans les coloris, certains jeux optiques avec la couleur qui semble bouger quand celle-ci touche la rétine, la présence marquée de la touche… Il y a de l’épaisseur dans la matière. Bref , un métier qui contredit la rigueur de ces abstractions géométriques. Au deuxième regard, c’est bien le plaisir visuel qui l’emporte devant ces représentations d’une trentaine de tartans appartenant tous à des clans d’Ecosse. Rien de plus figuratif que cette peinture aux motifs abstraits et décoratifs. La pirouette est plaisante.
Un thème récurrent : l’enquête Les autres oeuvres d’Anthony Freestone exposées au Centre d’arts plastiques de Saint-Fons se présentent comme des constructions intellectuelles, des jeux de l’esprit, mettant en mouvement des associations d’images et d’idées. Ces oeuvres s’appuient sur un vrai travail de peintre. Sans doute est-ce là leur originalité. Elles se présentent sous forme de polyptyques, fonctionnant comme des rébus, et rapprochant le visage d’un savant, une illustration d’Alice au Pays des Merveilles, une carte géographique, un texte… Tout document existant dans la réalité, copié avec application par l’artiste à l’acrylique sur des panneaux de bois.
Mais quels rapports y a-t-il entre Freud, l’érection de la Tour de Babel, une sculpture de Warhol, un texte de Michel Leiris? Ou encore entre les Charcot père et fils, une sculpture de Marcel Duchamp, le tartan du clan Scott, une cartographie du pôle sud, la définition extraite d’un dictionnaire français-anglais du mot “pourquoi” et de ses usages…? En apparence, aucun. Et pourtant… A les regarder de près, on retrouve, récurrent, le thème de l’enquête, à travers les figures de l’explorateur, de archéologue, du psychanalyste, de l’historien. Les rapprochements effectués par Freestone ne sont pas aussi aléatoires ou gratuits qu’ils en ont l’air. Ils relèvent d’une certaine logique.
Selon les cas, les panneaux peuvent prendre valeur de métaphore, de métonymie, de synecdote, de périphrase. Ce sont les figures d’un discours qui renvoie toujours peu ou prou à la biographie de l’artiste. On n’est pas dans un art narratif. On est dans de l’analogique, du discursif.
Mettre en lumière le dénominateur commun d’éléments hétérogènes, le lien qui les unit loin de toute apparence, et qui ne semble exister que dans un rapprochement né du hasard… Quand un tel hasard se répète, n’est-ce pas, finalement, pour s’annuler et mettre au jour un ordre secret du monde ?
Nelly Gabriel, Lyon Figaro, octobre 1999